Petite chronique de la présidentielle (7)
Civilité. Macron et Le Pen nous ont donné à voir hier un débat d'une bien meilleure tenue que celles auxquelles nous avons assisté ces dernières semaines. Nous avons eu droit à l'exposé contradictoire de projets que tout oppose dans une ambiance franche mais correcte. Le faire en respectant les règles élémentaires de civilité ne gâche rien à mes yeux, au contraire.
Match nul. J'ai entendu les commentateurs en sortie de débat conclure à une victoire éclatante d'Emmanuel Macron. Je n'ai pas eu ce sentiment. Sans doute qu'en privilégiant la présentation de son projet plutôt qu'une attaque en règle du bilan du quinquennat, Marine Le Pen a déçu les amateurs de phrases assassines mais elle y a gagné en sérieux.
De son côté, l'hypermnésie du Président a encore joué à plein mais à vouloir avoir tout le temps raison sur tous les sujets, la suffisance n'est jamais très loin, jusque dans son langage corporel. Il faut ajouter que si la mémoire du Président est au sens propre "extra-ordinaire", elle n'en est pas moins très sélective quand ça l'arrange, comme on a pu encore le voir hier soir sur bien des sujets.
Paix civile. Macron a eu raison de souligner les tensions qui ne manqueraient pas de naître dans le pays si Le Pen était élue : à titre de simple exemple parmi bien d'autres, vue de l'étranger, cette fixation sur le foulard dans le discours Le Pen est simplement délirante ; elle n'est comprise nulle part : dans l'espace public, qu'on foute la paix aux gens...
Mais il faut bien admettre que, Macron réélu, il aura lui aussi à faire face à un pays profondément divisé. Il le reconnait d'ailleurs en soulignant à demi-mot la nécessité de "modifier les pratiques". On a pris l'habitude de pronostiquer un "3ème tour social" après l'élection présidentielle. Je crains que l'expression ne prenne tout son sens cette année. Car ce mandat, quel que soit le résultat dimanche, exposera ceux qui dirigeront ce pays à déployer un savoir-faire et des méthodes jamais mis en œuvre jusqu'à présent pour préserver la paix civile et tenter de reconstituer un idéal commun. C'est même sans doute l'enjeu majeur de la période qui s'ouvre.
Le 3ème homme. J'ai souri en découvrant l'initiative de J. L. Mélenchon qui a appelé les Français, la veille du débat du second tour, à (l')"élire premier Ministre" en juin à la faveur des législatives. Cette invitation lui permet de préserver tant bien que mal l'unité de ses électeurs (divisés sur la conduite à tenir au second tour) tout en cherchant à réduire l'importance supposée du second tour de la présidentielle pour lequel il a raté la qualification de peu.
Ceci dit, si dans l'imaginaire de beaucoup de Français, la cohabitation qu'appelle ainsi JLM de ses vœux est une formule idéale d'équilibre politique, les expériences passées nous enseignent que ce sont surtout des périodes d'inaction et de tiraillements intenses à la tête du pays qui nous affaiblissent durablement : la cohabitation, c'est-à-dire la confrontation au sommet de l'exécutif entre le Président et le premier Ministre, est une chose assez malsaine. Le fait d'avoir un parlement disposant d'une majorité mais plus représentatif et donc davantage entendu serait préférable à tous les scénarios de cohabitation. Si l'initiative de JLM est un joli "coup", elle mènerait en réalité à une impasse qu'il nous faudra absolument éviter le moment venu.
Constitutionnel. Pour les passionnés de droit constitutionnel, l'échange furtif d'hier soir dans le débat sur le référendum était intéressant : Macron a rappelé -à juste titre- qu'une révision de la Constitution devait se faire (article 89) par le vote préalable conforme des deux assemblées, ratifié ensuite par référendum, ce à quoi il a lui-même échoué durant son quinquennat en raison de l'opposition de la majorité LR du Sénat.
Le Pen -avec raison- lui a rappelé que par deux fois (1962 et 1965) le Général De Gaulle s'était affranchi du Parlement et avait eu recours directement au peuple via l'article 11, comme la candidate RN prévoit de le faire si elle est élue. Au-delà des controverses juridiques, l'idée que le peuple lui-même peut réviser son texte fondamental, y compris contre l'avis de ses députés et sénateurs, ne me semble pas choquante et même, assez dans l'esprit de la Vème République. Je suis donc, sur le sujet, du même avis que de Gaulle... et Le Pen.
L'heure du choix. Macron n'est pas davantage parfait que ne le sont ses concurrents ni que ne l'ont été ses prédécesseurs. Il n'y a guère que sa vision de la construction européenne qui suscite chez moi une véritable adhésion. Pour le reste, sa verticalité et sa suffisance sont telles que je doute de sa capacité, une fois réélu, à changer de gouvernance, alors que c'est une exigence vitale pour le pays. C'est pourquoi je ne suis pas emballé par le vote que je m'apprête pourtant à faire de nouveau en sa faveur dimanche.
Mais, face à lui, il faut redire que l'élection de Marine Le Pen ferait émerger une société de ressentiment dont je ne veux ni pour moi, ni pour mes enfants, ni pour mon pays, ni pour le monde. Or, les instituts de sondage maitrisent mal la curieuse alchimie de l'addition tardive des votes blancs, des votes nuls, des abstentions et des suffrages accordées à Marine Le Pen. Le risque de son élection est réel. L'heure du choix est venue.