Pour une politique plus modeste de la France en Afrique

Publié le par Bernard LUSSET

Le coup d'état en cours au Niger n'est qu'une prise de pouvoir de plus des militaires dans la région, après la Guinée, le Burkina et le Mali. Le Niger lui-même en est à son 4ème coup d'état depuis son indépendance et le Président Bazoum avait déjà été secoué par une tentative de cette sorte juste après son élection il y a deux ans.

Partout le même constat : les populations locales sont exaspérées d'être cantonnées dans une pauvreté qu'aucun peuple n'accepterait. Les difficultés d'accès à l'eau, à l'électricité, aux soins, à l'éducation se conjuguent avec un chômage endémique quand, dans le même temps, les classes locales dirigeantes s'enrichissent à un rythme difficilement concevable. Comment ne pas vouloir faire la révolution dans ce contexte ?

Dans le même élan, les habitants -et on doit les comprendre- n'accordent donc plus aucune confiance ni à un système politique "démocratique" dont l'inefficacité pèse cruellement sur leur vie quotidienne ni à la connivence de leurs gouvernements avec des puissances occidentales qui continuent, chéquier en mains soixante ans après les indépendances, à vouloir peser sur les orientations majeures de leurs pays.

Tout à leur révolte, ces populations en viennent à placer leurs espoirs dans ce qui se présente : ici, des généraux putschistes qui ne sont pourtant pas les derniers à s'être engraissés sur le dos des populations et à porter leur part de responsabilité sur les conditions d'insécurité qui règnent au Sahel. Là, c'est vers l'hypothétique soutien d'une milice qui préfigurerait le soutien de la Russie que les espoirs se tournent. Les populations de ce qu'on appelle le "sud global" se réveillent et, lasses de l'inefficacité de l'action publique, sont prêtes à renverser la table, elles aussi.

Dans cette bascule irrémédiable qui ouvre sans doute une nouvelle page de l'histoire de l'Afrique de l'Ouest, le gouvernement français est aux premières loges du ressentiment qui s'exprime. Est-ce si injuste que ça ?

Paradoxalement, je crois la France infiniment moins puissante que ne le pensent nos cousins africains : quelques généraux putschistes suffisent à jeter dehors nos soldats au Burkina, au Mali et, demain sans doute au Niger ; nos armées présentes au Sahel ne sont pas parvenues, malgré le lourd tribut payé et l'importance des moyens mis en œuvre, à circonscrire le risque djihadiste et rétablir un semblant de sécurité ; notre endettement et nos difficultés économiques et sociales intérieures risquent de peser lourdement dans les prochains mois. Et l'arrogance bien française commune à nos dirigeants politiques qui croient connaître l'Afrique, nos diplomates en fonction là-bas, nos militaires en OPEX et même certaines des entreprises françaises présentes ne saurait suffire à masquer notre perte d'influence -réelle- dans le monde en général et en Afrique de l'Ouest en particulier.

Il faut ajouter que plus personne n'y supporte l'appétence d'Emmanuel Macron pour les grands discours surplombants, ni ses leçons de démocratie et de valeurs sociétales assénées urbi et orbi mais qui taisent la realpolitik que la France pratique aussi quand ça l'arrange, au Tchad ou ailleurs. Même certains dirigeants africains "amis" n'en peuvent plus. Il serait temps qu'une modestie de bon aloi, plus en phase avec la réalité de ce que nous sommes devenus, devienne notre marque de fabrique à l'étranger. A défaut d'être spontanément capables d'un tel revirement, je n'exclue pas que l'histoire en train de s'écrire en Afrique de l'Ouest n'y contraigne brutalement nos dirigeants. D'autant que, pour dire les choses, la modestie ne me semble pas être la première vertu de notre Président.

La nouvelle génération de militaires ouest-africains qui prennent le pouvoir veut s'affranchir des tutelles étrangères. Du moins de celles qui, à leurs yeux, ont échoué.

La nouvelle génération de militaires ouest-africains qui prennent le pouvoir veut s'affranchir des tutelles étrangères. Du moins de celles qui, à leurs yeux, ont échoué.

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T
Ton analyse, tes remarques tout cela est profondément réfléchi et parfaitement exact. Fais seulement bien attention à ne froisser personne, tant de gens sont là pour mettre la pagaille et définir comme responsables des Nigérians ,voire des Français. Je pense souvent à Toi. Toutes mes amitiés à ta Famille. J.A.T.
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A
Je suis trop averti de ta connaissance du continent africain pour douter de tes analyse. J'apprends donc beaucoup de choses. Certains problèmes sont récurrents, d'autres semblent émerger avec les aléas de notre diplomatie. Notre intérêt, c'est que les pays africains se développent
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