L'étau des taux
Avec ce sens du titre et de la formule qui le caractérise, le "Canard Enchaîné" de cette semaine vient rappeler une évidence que nous refusons obstinément de voir : l'évolution des taux d'intérêt va faire quasiment doubler le service de la dette de la France d'ici 2027 .
Les chiffres donnent le tournis : nous avons désormais plus de 3.000 milliards d'euros de dette. Avec la hausse des taux, le règlement des seuls intérêts va désormais atteindre les 70 milliards d'euros, dépassant même le budget de l'Education nationale (60 milliards d'euros par an). Les pourfendeurs habituels de l'Union européenne se font discrets sur le sujet, et pour cause : que serions-nous devenus aujourd'hui sans l'euro et notre arrimage à la solidité financière de l'Allemagne ?
Mais la hausse des taux n'est pas la seule responsable de notre situation. Le "Canard" rappelle à juste titre que cette année encore, notre dette va augmenter plus vite que notre richesse nationale. En dépensant cette année 450 milliards d'euros pour seulement 300 milliards de recettes, l'Etat va donc cette année encore une fois accroître notre dette et financer à crédit le tiers de ses dépenses.
On écoutera avec attention la chronique ci-dessous du jour du pourtant très modéré François Lenglet, journaliste économique de RTL. Il y dresse une liste (incomplète) des incongruités budgétaires gouvernementales. Et avec son usage habituel de la litote, le journaliste souligne "l'intempérance budgétaire" dont n'a cessé de faire preuve Emmanuel Macron depuis 2017. Le propos n'est hélas même pas excessif : profitant de taux alors très bas et d'une Angela Merkel en fin de mandat devenue moins orthodoxe, Emmanuel Macron n'a cessé de dépenser sans compter depuis sa première élection, cédant plus souvent qu'à son tour aux sollicitations les plus variées qui l'assaillent. Qui peut croire qu'une telle situation serait sans conséquence ?
Mais le pire n'est sans doute pas là.
Car alors que la situation budgétaire de la France ne cesse de se dégrader et finira par susciter la réticence des prêteurs (et le juste ressentiment de nos enfants qui rembourseront tout ça), le poids des prélèvements obligatoires sur l'activité des Français demeure parmi les plus élevés du monde. Il en est de même de la part des prélèvements sur la valeur ajoutée des entreprises, comme le montrent ces graphiques publiés dans le "Figaro" du jour.
Pouvons-nous au moins revendiquer pour ce prix une efficacité particulière de nos services publics ? Même pas ! Le temps des discours enflammés sur l'exemplarité du "service public à la Française" n'est plus de saison : le mammouth éducatif, malgré sa boulimie budgétaire, échoue à obtenir les résultats les plus élémentaires qu'on serait en droit d'attendre de lui ; notre appareil de santé à bout de souffle réussit à décourager les plus entreprenants de nos soignants et à inquiéter les patients ; notre système de solidarité est dans le rouge sans parvenir à répondre dignement aux attentes des plus fragiles et la récente réforme des retraites n'a rien réglé des défis budgétaires à venir dans ce domaine, en dépit des promesses faites ; notre complexité administrative bouffie ferait cauchemarder Kafka et désespère chaque jour un peu plus citoyens, entreprises, élus et militants associatifs ; et malgré tout ça (balayons devant notre porte de citoyens), nous ne cessons de solliciter chaque jour un peu plus l'intervention de l'Etat à tout propos.
Dans ce paysage inquiétant, la gouvernance macronienne ne l'est pas moins et n'a rien pour me rassurer. La gestion du Président est de plus en plus centralisée sur le moindre sujet : tout se décide à l'Elysée et on ne compte plus les dossiers "prioritaires" renvoyés à plus tard, faute que le Président ait pris le temps de les arbitrer. Les ministres sont ravalés au rang d'exécuteurs des pensées présidentielles d'autant plus difficiles à anticiper qu'elles sont souvent changeantes : ils n'osent plus lever le petit doigt de peur de déplaire au Château. Et comme ce Président surplombant refuse de prendre en compte la nouvelle donne politique qui le prive d'une majorité absolue à l'Assemblée, il ne faut pas exclure qu'une crise politique -et donc de confiance- vienne s'ajouter à notre crise budgétaire.
Allons-nous longtemps continuer à klaxonner joyeusement en fonçant à toute vitesse dans les murs qui arrivent ? Débarrassé de toute préoccupation électorale faute de pouvoir se représenter en 2027, le Président de la République serait bien inspiré d'abandonner ses préoccupations d'image et sa gouvernance start-up inefficace pour, enfin, assurer à notre pays le gouvernement des affaires publiques qu'il est en droit d'attendre et que les circonstances réclament.