Qui est Bassirou Diomaye Faye ?
Sacré cadeau d’anniversaire ! Le nouveau Président de la République du Sénégal a été élu la veille de son 44ème anniversaire : Bassirou Diomaye Diakhar Faye est en effet né le 25 mars 1980 à Ndiaganiao, un village rural situé à une trentaine de kilomètres au nord-est de Mbour. Que sait-on de celui qui était encore un parfait inconnu, pour la majorité des Sénégalais comme pour moi, quelques semaines seulement avant son élection ?
Faye est issu d’une famille modeste. Celui qui est surnommé « Bass » a manifestement eu une scolarité assez exemplaire au point qu’on le présente comme un surdoué. Il a étudié à la mission catholique de son village puis au Collège public de Ndiaganiao, un établissement qui porte le nom de son grand-père Macor. Ses convictions religieuses sont très tôt ancrées : il a même un temps servi de muezzin dans la mosquée de son village.
Une fois son baccalauréat brillamment obtenu en 2000 au Lycée Demba Diop de Mbour, Bassirou Diomaye Faye s’inscrit à la faculté de droit de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) où il décrochera une maîtrise de droit en 2004. Trois mois plus tard, il est admis à l’École nationale d’administration (ENA). Durant ses études dakaroises, comme de nombreux étudiants, il travaille dans les champs maraîchers de Malika, au nord de la capitale, pour financer ses études.
En 2007, il sort diplômé de l’ENA et intègre la Direction générale des impôts et domaines, réputée être la plus prestigieuse et la plus rémunératrice au sein de la haute fonction publique sénégalaise. Faye s’y distingue très vite en tant qu’inspecteur des impôts dans différents services importants. Sa dernière fonction exercée était celle de chef du bureau des contentieux à la Direction de la législation et de la coopération.
C’est dans cette administration que Bassirou Diomaye Faye (BDF) rencontre Ousmane Sonko, son aîné de 6 ans, qui l’a précédé dans cette administration et avec qui il noue des relations qu’on dit fraternelles voire fusionnelles. Très vite, son parcours est marqué par son engagement syndical aux côtés de Sonko : il a notamment été secrétaire général du Syndicat des Domaines et a joué un rôle-clé dans les revendications syndicales au sein du syndicat des impôts.
Parallèlement à ses engagements syndicaux, BDF a participé à la création en 2014 du parti PASTEF (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité) fondé et présidé depuis par Sonko. La devise du PASTEF-LES PATRIOTES est « le don de soi pour la patrie ». BDF est l’une des principales chevilles ouvrières du parti dont il était le secrétaire général ; il aurait notamment été au centre de la construction du projet PASTEF pour l’élection présidentielle.
Ceux qui le connaissent décrivent BDF comme un homme discret voire austère, connu pour son franc-parler et son courage : ses critiques envers le régime actuel lui ont valu bien des soucis, dont son incarcération en détention provisoire le 14 avril 2023 pour avoir critiqué dans un post sur les réseaux sociaux le comportement de certains magistrats dans une affaire de diffamation impliquant Ousmane Sonko et le ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang. Il n’en sortira que 10 jours avant... d'être élu Président : quel destin !
Sourire ne développe pas un pays.
Marié à deux épouses, Faye est père de famille. En dépit de son physique frêle et élancé (peut-être même à cause de lui), on dit BDF adepte des arts martiaux notamment le Kung-fu et le Viet Vo Dao. La devise de ce dernier sport d’origine vietnamienne serait, selon Wikipédia : « Être fort pour être utile » et son symbole serait le bambou, qui plie mais ne se rompt pas. Cette image de souplesse et de droiture semble bien coller en effet à l’image spontanément portée par Faye. « C’est un animal à sang froid. Il glisse ses piques dans la conversation et sait faire passer des messages dans un calme absolu » remarque un observateur avisé de la vie politique sénégalaise. D’ailleurs, à ceux qui lui reprochent de ne pas « sourire assez », Faye répond que « sourire ne développe pas un pays ».
Judiciairement empêché de participer à l’élection présidentielle, Ousmane Sonko a choisi d’y présenter des candidatures alternatives, au premier rang desquelles celle de BDF qu’il a justifiée ainsi : « Je n’ai pas choisi Bassirou Diomaye Faye par amour, par proximité ou par préférence, mais par réflexion objective et choix stratégique. Ce n’est pas un choix de cœur, mais de raison ».
A ceux qui dénonçaient avec une ironie mordante le manque d’expérience politique du candidat BDF, Guy Marius Sagna, député et poids lourd du PASTEF, avait coutume de répondre : « Les candidats du système néocolonial critiquent Diomaye pour son inexpérience en détournements de deniers publics, en assassinat de son propre peuple, en mesures antidémocratiques et en maintien du statu quo. Gardez votre expérience ! Le 24 mars 2024, nous allons élire l’inexpérimenté Bassirou Diomaye Faye cinquième président de la République du Sénégal ! »
Le Sénégal n'a besoin ni de messie ni de héros
« L’important, ce n’est pas la personne. Le Sénégal n’a besoin ni de messie ni de héros », a reconnu BDF le 15 mars, dès sa sortie de prison. Lui qui se définit comme « particulièrement raisonnable et raisonné » et comme un « homme de concertation et de dialogue » doit désormais endosser le costume de Président de la République du Sénégal. Quelqu’un qui le connait bien assure : « C’est un homme très structuré et consensuel. Il sait arriver à ses objectifs et trouver les points qui permettent d’avancer dans une discussion ».
Reste une question que beaucoup se posent depuis le 24 mars : Comment BDF et Sonko fonctionneront-ils ensemble demain ? En France, chacun garde le souvenir de « l’amitié de 30 ans » réputée indéfectible qui liait Chirac et Balladur mais qui n’a pas résisté longtemps aux tentations du pouvoir. Même s’il faut se souvenir qu’à la fin, c’est bien Chirac qui a gagné…
Comment donc le nouveau Président du Sénégal va-t-il gérer son compagnonnage avec celui qui « l’a fait Roi » ? Le projet électoral du PASTEF prévoit de réduire les prérogatives du Président et de substituer au Premier Ministre un vice-Président élu. Mais cela requiert une révision de la Constitution et ne pourrait entrer en vigueur qu’après la prochaine présidentielle dans 5 ans (ou après une démission du Président ?).
On peut imaginer que le parcours respectif de ces deux hommes, conjointement engagés depuis longtemps dans les mêmes batailles, les préservera des tentations vicieuses que le pouvoir fait souvent naître. Mais il n’est pas de pouvoirs sans équipes et on sait combien les entourages exacerbent souvent les tensions et les rivalités.
Ceci dit, ces deux-là ont en commun bien plus que la victoire du 24 mars : le projet politique qui leur a valu dans le passé tant de déboire et de soucis. Et l’ambition de ce projet, que BDF assume comme un « projet de rupture », a de quoi en effet lier les deux hommes :
- Au premier rang des intentions figure la renégociation des actuels contrats de pêche qui priveraient les pêcheurs artisanaux de la côte de leur principale ressource au bénéfice d’entreprises étrangères, principalement chinoises et européennes.
- Renégociation aussi des contrats gaziers et pétroliers, l’année 2024 devant être la première année de production des deux gisements off-shore récemment découverts au large du Sénégal.
- Le nouveau Président entend également « réinventer » la relation du Sénégal avec l’ancienne puissance coloniale : nombre de dirigeants ouest-africains sont accusés de n’être que des « préfets » de l’Elysée et BDF entend rééquilibrer cette relation.
- Figure également au programme du PASTEF la remise en cause du franc CFA, symbole particulièrement marqué -y compris de manière excessive parfois- aux yeux des populations d’une mainmise française sur les affaires intérieures des pays de la région. BDF affiche à ce sujet un discours d’une grande clarté : « On ne doit pas accepter qu’il y ait des tabous autour de certaines questions. On ne peut pas avoir un Sénégal souverain, juste et prospère, sans souveraineté monétaire ». Dès sa première prise de parole, BDF a rappelé cette exigence, non sans souligner qu’il entend privilégier le maintien d’une monnaie commune à la sous-région, dès lors qu’elle s’extirperait du cadre actuel du Franc CFA.
- Le nouveau Président porte également un projet de renforcement de l’indépendance de la justice, laquelle s’est assez tristement illustrée sur ce plan ces dernières années.
- Il est aussi question de remplacer l’actuel Conseil constitutionnel par une Cour constitutionnelle plus indépendante du pouvoir et aux pouvoirs juridictionnels renforcés.
- Enfin, le nouveau Président n’a cessé de plaider durant la courte campagne électorale en faveur d’une lutte sans merci et à tous les niveaux contre la corruption qui gangrène lourdement, il faut bien le dire, l’administration publique de ce pays.
Ajoutez à tout cela de réelles ambitions en matière de développement économique inclusif et de renforcement du système éducatif, et vous aurez une petite idée du travail qui attend le nouveau Président de la République du Sénégal.
Le travail débutera une fois les résultats officiellement proclamés par le Conseil constitutionnel, et après qu'il aura été procédé à l'investiture de BDF, en présence de son prédécesseur qu’il n’a pas manqué de saluer après que celui-ci ait reconnu sa victoire.
Dimanche dernier, et après bien des péripéties, les Sénégalais ont démocratiquement choisi d'écrire une nouvelle page de leur histoire nationale : c'est une bonne nouvelle pour toute l'Afrique de l'Ouest.