Fin du "variant Alpha"

Publié le par Bernard LUSSET

Depuis les années 50, le continent africain a connu environ 200 coups d'état mais cette fâcheuse habitude aurait tendance à s'atténuer ces dernières années. Fâcheuse habitude ? Voire...

Faut-il vraiment pleurer par exemple la chute d'Alpha Condé en Guinée lui qui, après avoir payé personnellement un lourd tribu à son combat pour la liberté, a fini comme d'autres, scotché au pouvoir et à ses attributs, indécrochable, indécrottable. Les 30 millions d'euros en liquide (!) retrouvés, dit-on, dans sa chambre y étaient-ils pour quelque chose ?

Après avoir juré-craché qu'il ne se représenterait pas, il s'est fait réélire à 80 ans passés en 2020, cédant au "syndrome du 3ème mandat" et enclenchant ce qu'on appelle désormais en Afrique un "coup d'Etat constitutionnel" pour le distinguer des coups de forces militaires.

Qu'une intervention militaire vienne défaire ce que le suffrage universel a construit est évidemment un processus choquant en soi. Mais qui peut dire que le scrutin de 2020 a été libre et transparent en Guinée ?

Le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, ancien de la Légion étrangère, n'avait-il que le rétablissement de la démocratie en tête pour renverser celui qu'un journal sénégalais a drôlement appelé le "variant Alpha" ? Les litiges ethniques, le partage des richesses du sous-sol guinéen (bauxite, or, fer et diamant), les frustrations ou les rivalités personnelles pourraient être autant de motivations : l'histoire montre partout que ce genre de motifs joue souvent un rôle aussi important que les grands principes mis en avant dans les discours.

Les langues commençant à se délier, on apprend d'ailleurs que le lieutenant-colonel putschiste, patron des Forces Spéciales Guinéennes, était tellement jaloux de l'indépendance de son groupe à l'égard du pouvoir qu'Alpha Condé aurait autorisé son arrestation quelques jours seulement avant le coup d'état. Ceci explique peut-être cela.

Ainsi va la construction de la démocratie, en Afrique comme ailleurs : c'est un très long chemin, chaotique et brutal à souhait, imprévisible, décevant souvent, enthousiasmant parfois. Mais c'est le seul chemin.

***

Face au coup de force des militaires, les condamnations internationales se sont multipliées. Comme d'habitude, serait-on tenté de dire. Mais condamner à Conakry ce qu'on a accepté quelques semaines plus tôt à N'Djamena ou Bamako ? Une fois de plus, les instances régionales et internationales apparaissent comme un syndicat de chefs d'Etat cédant à la real politik (lire ici).

Or, à fermer ainsi les yeux sur les manquements de certains de leurs membres en matière de gouvernance, ces instances multilatérales en sont réduites à défendre de manière pavlovienne les dirigeants en place et à émettre de mièvres et inutiles condamnations des coups d'Etat lorsqu'ils surviennent.

Ce faisant, elles entretiennent un sentiment d'impunité chez les uns comme chez les autres, privant en outre d'une régulation internationale pourtant indispensable les peuples qui sont toujours les principales victimes des soubresauts historiques de leur pays.

Publié dans on en parle en Afrique

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